Les jardins auparavant fleuris de l'Eglise, maintenant en train de subir le conséquences de l'autonome et de l'hiver approchant était un endroit connu pour son côté paisible et agréable. Autrefois, les gens s'y retrouvaient après l'office, c'était ce que les vieux de Louisville me disaient quand je passais devant. Je n'avais jamais reçu une éducation particulière en religion, j'avais peut être été baptisée quand j'étais une enfant mais ce n'était jamais été plus loin. Donc mettre les pieds dans une Eglise autrement que pour visiter ou pour un mariage, et encore ça faisait très longtemps que je n'y avais pas été... C'était un peu un mystère, la foi et tout c'était très inconnu pour moi et complètement un autre monde à mes yeux. Comment pouvait-on croire en quelque chose de supérieur de nous ? Après je pouvais le comprendre que certains pensent que Dieu, les anges et je ne sais quel autre personnage biblique ou du Coran pouvait exister bien sur. Je ne remettais pas leur parole en cause. J'avais bien des amis qui allaient encore à l'Eglise tous les dimanches avec leurs parents. Moi une fois que mes parents étaient morts comment commencer à croire en quelque chose qui vous a pris vos parents ? C'était peut être ça, mon refus de croire qu'il pouvait nous vouloir du bien. Et je commençais à penser à tout cela assisse sur un muret, contre l'Eglise observant ce jardin fleuri. Je revenais du cimetière où j'étais allée déposer une gerbe de fleur cueillie dans ce que j'avais pu trouver, rapidement. Question de dire, non je ne vous oublie pas Papa et Maman, et puis je m'étais arrêté là, il était vers quatorze heures, peut être, on était dimanche il me semblait. Les gens mangeaient certainement leurs rations ensemble dans leurs maisons. Il y avait des réfugiés désormais dans l'Eglise. On essayait d'aider tant bien que mal après tout. J'étais là, j'observais les allées et venues, perdue doucement dans mes pensées. Une gamine de 17 ans pendant l'apocalypse, ne devrait pas être là, je devrais être en train d'aider. Mais comment ?

Les jours passaient et ne se ressemblaient pas. C'était toujours le bordel, y'avait pas à dire. Depuis la tempête, les choses avaient encore empiré. Je n'avais pas le temps de voir, je pensais bien que je devais faire quelque chose pour améliorer la situation mais quoi ? J'avais compris depuis longtemps que je devais faire en sorte de trouver des solutions, d'innover, de pousser en avant. Mais là j'étais bloqué. Les ressources se faisaient de plus en plus limitées et je ne pouvais plus mobiliser grand chose ou grand monde pour nous sortir de cette situation. Plus rien ne pousserait avant quelques mois, traîner dans les bois et la campagne environnante était trop dangereux. Ca l'était déjà avant que l'on découvre nos renforts massacrés dans la rue, sous la pluie battante et radioactive. Ça l'était encore plus depuis, indéniablement. Maintenant plus que des rumeurs de danger et de pillards, plus que des hurlements parfois entendus dans le noir et des corps retrouvés le matin, il y avait cette menace bien tangible qui occupait tous les esprits. Mon regard se promena sur l'horizon. Vers ces bois lointains, si proches et pourtant hors de portée. Il n'y avait plus que Comet et quelques autres pour oser s'y aventurer, et je sentais que le vieil éclaireur était frustré de ne toujours pas avoir mis la main sur la plus petite piste qui mène aux instigateurs de ces carnages. Je me grillais ce qui était probablement une des dernières cigarettes en ville. Je soupirais. Je n'avais aucune solution, et je me contentais maintenant de prendre un problème avant le suivant. Mes pas me menèrent près de l'Eglise, et je passais dans le cimetière attenant où nous avions utilisé le peu d'espace disponible pour creuser une fosse commune. De la chaux empruntée aux agriculteurs du coin pour traiter les corps que nous avions « emballés » dans de vieilles pièces de tissus. Et une inscription dans une pancarte de bois. La liste concernant les victimes de mon groupe était déjà longue comme le bras. E n'étais pas du genre religieux, pas du tout même. Je soupirais. Caporal Bernier. Soldat Hannou. Artilleur Carbi. Soldat M'Gandgou. Soldat Pfeiffer. Et encore des tas d'autres noms. De mon unité ou de celles qui nous avaient accompagnées jusque dans cet enfer. Je tirais mon casque et fermais les yeux, pensant à combien leur présence nous manquait aujourd'hui. Je ne pleurais pas les hommes, mais les militaires. Je n'en connaissais pas beaucoup ; la majorité des tués n'étaient pas mes Fantômes. On aurait cruellement eu besoin de ces hommes courageux, en ce moment même.


Finissant par noyer mes pensées dans le reste de mes préoccupations, je pénétrais dans l'Eglise en me remettant le casque sur la tête sans le sangler. Lorsque j'entrais, je soupirais à nouveau en voyant le monde qui se pressait à l'intérieur. Tant de monde encore en ville... Plus aucun n'osait partir vers le sud, avec ce que nous subissions désormais. Je me tournais sur le côté, prêt à ressortir, dépité. Quand je vis un visage que je connaissais vaguement. Putain. La gamine là, c'était pas la sœur à cette conne de Fontaine ? Je m'avançais vers elle. Putain, comment elle s'appelait déjà ? Je fouillais dans ma mémoire ce que Comet avait pu m'en dire.


| salut, petite. Qu'est ce que tu fiches ici? |

Les jours passaient et pour moi étaient devenus un ensemble de jours sans suite et sans logique. Oui, je ne voyais pas de cohérence. Les gens avaient commencé à fuir, puis aujourd’hui restait ici. J’entendais des familles qui avaient planifiés un départ il y a quelques semaines qui aujourd’hui y renonçaient. D’autres familles que je ne voyais plus désormais. Ils avaient du partir vers le Sud ou vers quelque part où ça serait meilleur vivre que Louisville. Fuir ? Pourquoi pas nous ? Ce n’était pas dans la mentalité de ma famille, et encore moins de celle de ma sœur, et puis nous deux seules. Il valait mieux que l’on reste ici, c’était encore ici qu’on était le plus en sécurité. Et quand on voyait la gueule de la sécurité et de la vie ici, je me demandais comment ça devait être ailleurs pour se dire que c’était mieux de rester ici. Ça sentait la mort, avec la fosse commune malgré les précautions prises pour protéger les corps inertes. En entrant dans l’Eglise, je vis Louise, Anne et leur frère avec leurs parents, les jumelles étaient avec moi en cours au lycée, leur petit frère devait avoir une dizaine d’année et devait être au collège peut être. Je vis deux trois autres personnes que je connaissais du lycée, beaucoup de mes professeurs venaient de Caen et je ne les voyais plus depuis quelques semaines. Je fis rapidement un signe de la main à Louise qui me rendit un sourire. Puis je restais sur le bord, regardant les gens cherchant un refuge dans l’Eglise, si un Dieu existait pourquoi laissait-il faire ça ? Je ne savais pas mais ce n’était pas très bon, pour un Dieu misécordieux comme on me disait. Enfin je crois, je devais être loin du compte une nouvelle fois. Peu m’importe, le seul Dieu en qui je croyais moi, avait du partir il y a bien longtemps.

Et puis d’un coup, j’entendis quelqu’un qui m’appelait. Enfin je crus, même si ce ne fut pas mon prénom, apparemment en option dans sa mémoire. Petite ? Sérieusement. Je ne dis rien, et je me pris juste la peine de sourire pour réfléchir à ma réponse sur ce que je faisais ici. Je n’en savais strictement rien j’errais de manière à ce que l’on ne vienne pas me demander pourquoi je ne faisais rien. « Bonjour. J’essaye de voir si ma présence pourrait être utile mais apparemment non. Et vous donc ? » Mise à part venir surveiller que les gens ne se tapent pas dessus pour un morceau de pain. C’était ma manière d’engager la conversation, mais vivre avec Mathie surtout en cette période, nous apprend aussi à nous méfier des militaires. Raulne ? Oui c’était ça son nom à lui. Raulne.

HJ ;; la médiocrité se rattrapera un jour...

La jeune fille a l'air surprise de me voir ici. Et aussi un peu blasée. Visiblement, elle n'a pas trop aimé ma façon de m'adresser à elle. Sans être négative et agressive, elle n'en reste pas moins un peu distante. Je n'aime étrangement pas la lueur indifférente que je vois dans son regard. Comme si elle était trop triste, trop désespérée pour s'émouvoir de la venue de la personnalité la plus honnie en ville. Je voyais ce genre de regard chez beaucoup trop de gens à mon goût dans le coin depuis un bon moment. Ca ne me semblait pas très enviable comme situation ; j'en avais tout simplement assez que de me rendre compte de l'absence totale d'espoir des gens de cette ville. Tous semblaient de plus en plus résignés à leur sort, et ça devenait compliqué que d'accepter cette situation. C'était comme si quoi qu'on fasse quelque chose allait toujours de travers. Franchement, ce n'était pas très encourageant, et ça commençait à peser très fortement sur le moral de tous ceux qui n'étaient pas encore atteints par toutes ces paroles, tous ces évènements. Ce n'était pas facile d'avancer, mais ça l'était encore plus avec toute une partie de la population qui semblait attendre après la mort. La situation craignait du boudin. Ca, c'était indéniable. Personne ne pourrait dire le contraire, et j'étais probablement plus au fait que beaucoup sur la situation réelle de la ville et sur toutes les horreurs que la guerre pouvait encore nous faire tomber dessus. Rien d'engageant mais... Bref. De toute façon je n'y pouvais rien. Il fallait que l'on se rende compte que nous pouvions nous en sortir, si on se sortait vraiment les doigts du cul.


| Je vois. Je venais voir un peu les gens qui restaient ici. Le froid s'installe pour de bon et je pense pas que cet endroit soit le plus indiqué. Le souci c'est qu'on manque de place ailleurs... Ce n'était pas chez vous qu'il y avait de réfugiés ? Je l'ai su après coup. Ce qui m'a étonné, quand on sait la position de votre sœur. |

Beaucoup restaient ici dans cette Eglise, pour trouver un peu de réconfort et de chaleur humaine, que sais-je, et pourtant dans leurs regards on ne voyait même plus une once d’espoir. Comme si le but de venir ici n’était que par principe, une obligation. Certes ça l’était. Si je venais aussi ici, c’était pour essayer d’aider, d’être utile. Et pourtant je me sentais d’autant plus inutiles à chaque fois que je venais ici que j’avais l’image de ma sœur. Et d’entendre la remarque du militaire me déchira presque un sourire. En effet, concernant l’accueil des réfugiés, ma sœur était complètement contre et j’avais quand même imposée Annabelle avec qui j’avais lié une véritable amitié. Contre l’avis de ma sœur bien sûr, mais il fallait aussi dire que c’était elle qui m’avait éduquée, il fallait donc comprendre que j’étais aussi bornée qu’elle. Mais ça ce n’était pas de sa faute, j’avais aussi des antécédents familiaux avec le caractère de mon père. Je repris cependant rapidement mon regard d’indifférence, concernant la situation avec de trouver les mots pour lui répondre : « Une Eglise ? En effet ce n’est pas connu pour être chaud comme endroit. Mais vous voulez les mettre où ? La moitié des habitants de Louisville ne voudra jamais accueillir un réfugié chez eux. Il y en avait une. Je l’avais imposée à ma sœur, vous savez je peux être aussi bornée qu’elle parfois. Mais en effet, ce n’était pas pour lui plaire. » dis-je pour finir. Le froid s’installait en effet, l’hiver arrivait sur la Normandie et j’avais l’impression qu’il était plus rude que les précédents. Après c’était peut-être la situation qui me faisait dire ça, je n’en savais rien. « Après je peux comprendre ça doit vous sembler une des solutions les plus faciles que d’entreposer les réfugiés chez les habitants. » Chercher une solution pour faciliter la vie des militaires avec les réfugiés et les étrangers, c’était bien la première chose que je faisais de bien dans ma journée.

La fille semblait réagir à la mention de sa sœur, mais l'image sur son visage resta rrelativement floue pour que je ne parvienne pas à savoir si c'était en bien ou en mal, ou si cela évoquait n'importe quoi. Je ne savais pas ce que cette réaction voulait dire et cela me dérouta un court instant. Se pouvait il qu'il y ai du rififi chez les Fontaine ? Ce serait presque trop beau... bien que cela pouvait aussi vouloir dire qu'il existerait dorénavant une certaine instabilité chez elles... Et ça par contre, c'était pas bon du tout. Je ne voulais en aucun cas qu'un facteur d'instabilité dans la ville ne se transforme en quelque chose de bien plus précaire encore ; il y avait quelque chose d'assez dérangeant dans cette idée, comme si je voyais déjà la grande péter un câble et mettre encore plus en danger les gens autour d'elle. Cela ne saurait arriver tant que je serais présent, en bon garde fou que j'incarnais... la fille redevint plus sérieuse, plus neutre, et me confirma l'impression vis à vi du coin. Les mettre où ? J'en savais rien, moi... Mais y'avait pas un endroit un peu meilleur ? J'étais convaincu que les trois quarts des gens en ville avaient encore de la place dans leur salon, une ou plusieurs chambres de libre... Et pas un pour reprendre deux/trois personnes de plus. Même moi je faisais un effort avec Eléanore, même si forcément la situation n'était pas tout à fait désintéressée. Mais la gamine avait raison ; ce n'était pas tant un problème de place que de volonté. Les gens du crû tenaient à leur confort et tant qu'ils ne verraient pas quelques gosses et quelques adultes crever de froid sous leurs yeux, ils ne seraient pas prêts à bouger. Je ne pouvais pas me permettre d'arriver avec mes gars, d'enfoncer les portes à coups de rangers pour forcer les gens à accueillir de parfaits inconnus. Il n'en restait pas moins que la situation restait forcément problématique et préoccupante. La fille me dit ensuite qu'elle avait accueilli une réfugiée chez elle, au détriment de ce qu'aurait voulu sa sœur. Je souris. Forcément, sa conne de grande sœur, bête à manger du foin, avait du faire tout un fromage de la présence d'une intruse dans son bon petit nid douillet, n'est ce pas ? Cette histoire me disait vaguement quelque chose, je fronçais les sourcils en réfléchissant à ce qu'il s'était passé.


| Ah oui, jen ai vaguement entendu parler. Dubois, n'est ce pas ? Je l'avais rencontrée. Condoléances, c'est moche ce qu'il lui est arrivé. |


Et on n'avait rien pu faire... La fille avait disparu un soir, n'étant jamais rentrée « chez elle ». Elle avait été retrouvée en lisière du bois le lendemain matin, le corps atrocement mutilé et à peine reconnaissable. Encore un coup de ces maudits connards qui se jouaient de nous dans les environs... On n'avait eu qu'à creuser une tombe et mener à bien une nouvelle battue qui n'avait rien donné, comme les précédentes. Affaire classée, des gens mourraient tous les jours et on n'avait aucune idée de leur repère. On devait à tout prix retrouver les responsables... La fille me dit ensuite que c'était une solution commode... Je regardais autour de moi, avant de reporter mon attention sur elle.


| Jusqu'au jour où ça pétera et où la foule affamée et frigorifiée voudra ma peau, et celle de votre sœur. Vous avez pas peur de traîner par ici, vous? |

Annabelle. Voilà la réfugiée que l’on avait récupéré, enfin que j’avais imposé à ma sœur au début de ce délire. En pensant que c’était une question de jours ou de semaines. Et puis au fur et à mesure j’avais lié d’amitié. Elle me faisait un peu d’animation à la maison, j’avais quelqu’un à qui parler autre que ma sœur. Ca me faisait un peu de bien et puis j’avais l’impression d’avoir un peu d’autres personnes autour de moi au quotidien. Et puis un soir, elle n’était jamais rentrée, et le lendemain ou quelques jours plus tard on avait retrouvé son corps dans la forêt à quelques kilomètres même pas de Louisville. C’était triste et dégueulasse ce qui était arrivé mais en même temps qu’est ce qu’on pouvait y faire. Je ne savais pas quelle idée lui était passé à traverser l’esprit, mais aujourd’hui les faits étaient là. Et rien n’était sur autour de Louisville, peut être que l’endroit où l’on se trouvait était certainement le plus sur. Difficile à croire et pourtant, il en fallait peu pour me faire avaler l’idée que rien n’était plus sur autour de nous.

« Oui c’est triste en effet. Merci, elle était gentille tout de même. »

J’avais été sincère, mais on ne pouvait percevoir une once de sentiment dans ma voix. Je n’étais pas insensible au contraire, c’était juste que je n’avais pas pour habitude de laisser mes sentiments s’évacuer. Bien au contraire. En ces périodes, j’avais appris quelque chose, il valait mieux intérioriser qu’autre chose. Puis le sujet revient au sort des réfugiés présent ici :

« Il arrivera un moment ce ne sera pas que votre peau qu’ils voudront à mon avis. Un moment, ça pétera parce que les gens seront épuisés, et ne voudront plus, il n’y aura plus de réserves. Ce n’est pas ce qui changera la vision des Louisvillois, vous savez vous êtes dans une toute petite ville, où l’on était plutôt bien avant ce délire. Peur ? Non, disons que je me dis que je me rassure comme je peux. »

Je ne m'inquiétais pas vraiment pour la gamine. Si elle était aussi chiante que sa sœur, personne viendrait lui chercher du noise. Et elle avait l'air de quelqu'un d'intelligent malgré son jeune âge. D'ailleurs elle avait combien. Seize, dix sept ans ? Les jeunes de cet âge là paraissent toujours incroyablement matures physiquement mais on sent toujours que sous leur air mature il se cache encore une innocence incroyable. Même la guerre n'avait pas pu modifier cela chez la petite Fontaine. Tant qu'elle n'aurait pas eu l'expérience d'un homme ou deux, de cruelles déceptions et de la perte d'être chers... Il lui restera toujours un rien d'innocence, même si je ne doutais pas que le conflit l'avait déjà privée de la majorité de sa candeur. Et puis au final je n'en savais rien et je m'en fichais, ce n'était pas mon problème que de gérer une adolescente dans cette ville en guerre. Cela dit, le self control de la fille m'impressionna lorsqu'elle évoqua la réfugiée qui s'était fait étriper, et pour qui elle avait pourtant ressentir de l'affection. Non, son ton était froid et dur. Comme si c'était désespérant ce qui était arrivé, mais pas dramatique non plus. La vie continue, quoi. Je révisais mon jugement sur l'indifférence et la neutralité née de la guerre. Cette petite semble avoir eu quelques cours en accéléré, selon l'évidence.


| Ca a pas l'air de vous bouleverser plus que ça... Quelque chose que je devrais savoir, peut être? |


J'y vais tout de go, mais peu importe. Plutôt m'exposer au caractère de merde des Fontaine que de passer à côté de quelque chose de primordial. Peut être qu'il y avait eu dispute avec la grande sœur, que la réfugiée avait été foutue dehors ou autre... ou peut être que la gamine ne ressentait plus les pertes qu'avec une distance glaciale, ce qui n'arrangerait probablement personne et blesserait la grande. Elle me dit alors qu'elle a peur, mais qu'elle se rassure. Et elle aussi sent que la situation est explosive. Je saisis l'occasion au vol pour la questionner de manière un peu plus complète et approfondie...


| Ah oui, c'est ce que vous pensez ? Pourtant, les choses allaient mieux depuis l'attaque. J'avais cru comprendre que les gens du coin avaient enfin compris qu'il leur fallait se serrer les coudes pour avancer. Ce n'est pas le cas, d'après vous? |

La mort d’Annabelle m’avait touché bien sûr. Mais une fois que vous perdez vos parents aussi jeune que moi, il y a un moment vous relativisez. Ma sœur m’avait fait comprendre qu’Annabelle était peut-être la première que je perdais, mais ne serait pas la dernière. Elle avait trouvé les mots. Je n’étais pas froide d’habitude, j’avais un peu de chaleur de sourire. Mais les militaires n’avaient pour moi absolument rien de rassurant. Je ne voulais pas leur confier plus qu’il ne le savait déjà sur les Fontaine. C’était bien suffisant à mes yeux. Ma sœur m’avait dit de me méfier, et bien que je fusse tête de mule, je l’avais suivi sur ce conseil. La crise d’adolescence ça allait bien cinq minutes dans les périodes dans lesquelles nous étions. Il n’était plus l’heure de faire des crises de nerf parce qu’elle ne voulait pas me laisser sortir une veille de BAC BLANC ou je ne sais pas quoi. En même temps, mon BAC serait un peu plus difficile à obtenir je pense désormais. « J’ai été bouleversée. Mais elle ne sera pas la seule que je perdrais au cours de cette guerre. Il me faut aussi relativiser, mais en effet, c’est triste, comme je vous l’ai dit, je l’aimais bien. Et non vous n’avez rien d’autre à savoir que ce que vous savez déjà sur moi ou sur ma famille, monsieur Raulne. » Il n’avait pas tort de dire que les choses allaient mieux depuis l’attaque. J’étais sur la plage à ce moment-là, j’avais eu la peur de ma vie à ce moment-là. Je m’étais rendue compte que les choses avaient vraiment changé désormais. Ce n’était qu’une question de semaine « Pour combien de temps encore vous aurez le calme ? Ils l’ont peut-être compris pour le moment. L’être humain est animal, ils voudront protéger les leurs avant des étrangers si vous voulez mon avis dès que ça dérapera. Je ne suis peut être qu’une adolescente mais je ne suis pas stupide, s’il faut aider quelqu’un que je connais ou un étranger, un réfugié, je préférerai aider celui que je connais. Pour le moment, tout se passe bien, mais ce calme n’est-il pas superficiel ? Vous pourrez dire que je suis pessimiste, ce n’est pas une nouveauté on vous dira. Mais je crains que cet équilibre ne soit qu’éphémère malheureusement. »

J'essayais clairement d'en savoir plus sans véritablement faire preuve de la plus grande discrétion. Il me semblait assez retors que des personnes présentes puissent écouter notre conversation mais je ne serais pas le dernier naïf à penser que les gens ne feraient pas la sourde oreille par pure politesse. Je pouvais être certain que tous ceux qui se trouvaient à portée d'oreille essayaient d'une manière ou d'une autre d'en savoir plus sur ce que le chef des militaires en ville pouvait bien dire à la petite sœur de la meneuse de file de ceux qui menaient la fronde contre nous. Après tout, la discussion ne pouvait qu'être intéressante puisque ce genre de relation faisait aussi bien appel à la bouffe qu'à la sécurité, à l'avenir et aux perspectives pour toute la ville. De ce fait, tout le monde ne pouvait que s'intéresser à ce que nous allions nous dire parce que les centres d'intérêt essentiels pour tous en ville allaient probablement être abordés... Quand ils ne l'étaient pas déjà. Il fallait tenir bon, c'était le principal, pour que je puisse faire attention à mes propres mots. Ne pas me laisser emporter par la passion de l'instant, par l'incroyable distanciation à l'oeuvre entre civils et militaires. Et plus encore, entre miliciens et soldats. On était tous dans le même camp mais il nous était toujours permis d'en douter.. je me demandais d'ailleurs si la fille me parlait sans ambages, sans langue de bois aucune. Difficile de s'en assurer bien sûr, je ne comptais pas vérifier ses dires mais je comptais bien récolter quelques impressions, ce qui ne pouvait qu'être toujours assez édifiant.


Elle se mit alors à me parler d'Annabelle, son amie. Je me souvenais très bien d'Annabelle Dubois. Une jeune civile, qui m'avait confié s'être fait violer sur la route alors qu'elle fuyait les grandes villes. Je ne pouvais imaginer ce que cela faisait puisque je n'avais jamais moi même été violé, et qu'il y avait peu de chances pour que ça commence un jour (je gardais toujours une balle dans le chargeur, sait on jamais que je tombe sur de vrais salopards), mais quand même. Elle avait été dévastée. Est ce que la gamine savait tout cela sur sa grande amie ? Je n'en savais rien. Son cynisme me faisait froid dans le dos, on aurait dit mon propre caractère. L'image que la petite me renvoyait était donc assez peu appétante... Mais que voulez vous. Ce que je sais déjà ? Ce que je ne sais pas me paraît bien plus important que ce soit en quantité ou en qualité...


| Oui je comprends. Mais te mets pas non plus bille en tête, gamine. Tu auras toujours des gens qui prendront soin de toi. Restes près des tiens. Et tout ira bien. |


Ou alors vous serez toutes deux violées et tuées, après avoir vu votre maison brûler et vos amis mourir. Inutile de l'alarmer n'est ce pas... La fille semblait déjà attendre la mort. Ca faisait froid dans le dos déjà une personne comme ça, mais c'était pire encore pour une gamine. Pour autant, j'allais pas pleurer sur son sort, ça non.


| Vous me sortez le discours de votre sœur. Pourtant vous avez aidé Annabelle. Et vous êtes ici, maintenant. Pourquoi? |

Ce qu'il savait déjà ou ce qu'il ne savait pas encore. Peu m'importait, je voulais juste pas qu'il en sache trop sur moi, sur ma famille. Déjà que les gens autour de nous semblaient intrigué de voir la fille de la famille Fontaine en train de parler à un militaire, peu m'importait cela. Ce qui m'énervait d'autant plus c'était tout leur regard autour de nous, comme si c'était un peu l'attraction de l'Eglise. Mon regard froid était pourtant clair. De même que pour les gens que je pouvais peut-être connaitre de vue, ou qui me connaissait (le plus souvent dans ce sens-là) de vue, me regardaient et tentaient un sourire. Je lançais des éclairs avec mes yeux. Je n'aimais pas que l'on m'observe pendant que j'étais en discussion avec quelqu'un. C'était bien ma vie privée. Au moins, qu'on essaye de la faire subsister tant qu'on pouvait. Déjà que Mathie semblait bien se faire remarquer avec ses idées contraires aux idéaux des militaires ce n'était pas la peine que j'y mette mon grain. Mais apparemment, le militaire fasse à moi prenait plaisir à me faire parler. Très bien, j'allais parler, mais je n'allais pas être plus chaleureuse pour deux sous. Pour qui me prenait-il non mais oh ? Il devait connaitre ma soeur, il devait se douter que si on avait les mêmes parents, on avait du être par hasard, forgées sur le même modèle (à peu de choses près). "Les miens ils ne sont pas très nombreux. Je n'ai plus que ma soeur, et ne vous inquiétez pas, je reste bien près d'elle." Et elle me protégera je ne me faisais aucun doute là dessus. A moins qu'il pense à Mickaël également. Je suggérais secrètement l'idée, que ça n'avait pas peut-être pas du passer inaperçu chez les militaires. "Le discours de ma soeur ? Peut-être après tout j'ai bien eu les mêmes parents qu'elle, ça aide un peu à penser de la même manière. J'ai aidé Annabelle parce qu'elle en avait besoin. Et je suis aujourd'hui ici parce que je passais dans le coin à ce moment-là, et des gens ont certainement besoin d'aide. Mais comme je vous l'ai dit, l'aide d'une gamine, comme vous dites, j'ai l'impression qu'elle ne soit pas la bienvenue. Alors je reste là à observer, à me dire que de toute manière je suis inutile quoi que je fasse. Mes journées passent et se ressemblent, je n'ai pas grand chose à faire au final."

La fille semblait bien peu amène que les gens la regarde. Tant pis pour eux, et tant pis pour elle. Le risque c'était bien sûr que si elle se sentait mal à l'aise on aurait probablement plus de difficultés à pouvoir faire avancer cette conversation sereinement. Bien sûr, il fallait quand même se rendre compte que je devais déjà bien l'intimider ce qui induisait une difficulté supplémentaire. En effet, je fais le double de sa taille, le triple de son poids, je suis équipé de pied en cape ce qui induit un gabarit surévalué, tandis qu'elle même semble terriblement frêle, fragile. En plus, je suis le militaire le plus haut gradé de cette ville et j'ai une réputation des plus sulfureuses. Dans ces conditions, je ne pouvais que la fermer a priori. J'espérais quand même que la défiance qu'elle ressentirait à mon égard ne serait pas trop importante. Je tenais quand même à obtenir des informations de cet entretien, sinon il n'aurait pas le moindre intérêt. Bref. Les Fontaine étaient vraiment mon petit rayon de soleil personnel. Tas de bouffonnes, va. Elle me raconte alors qu'elle n'a plus que sa sœur. Je soupire et retire mon casque, m'asseyant en face d'elle sur le dossier du banc précédent, posant mon casque à côté de moi et me frottant les yeux.


| M'est avis qu'elle même ne doit pas te laisser fort approcher les autres, ou te laisser approcher, pas vrai ? Les grandes sœurs, les grands frères... Même combat. Mais elle, elle a pas un copain qui peut vous protéger ? Et toi même, t'as pas quelqu'un, des amis...? |


Peut être que si, peut être que non. Je l'imaginais assez bien être assez populaire bien que caractérielle dans son collège. Le genre de gonzesse qui attire tous les mecs comme le cul d'une vache attire les mouches. Cela dit, trouver un copain dans un bordel pareil... C'était pas toujours facile. La peur de la mort, la méfiance mutuelle... Cela n'empêchait pas certains d'entre nous de tirer leur coup, cela dit. J'en étais l'exemple incarné, et putain, qu'est ce que ça faisait du bien ! Je détrompais la gamine presque aussitôt.


| L'aide de tout le monde est la bienvenue. Si tu souhaites te rendre vraiment utile, on a besoin de bras un peu partout... T'aimerais faire quoi? |

L'homme face à moi pouvait bien me dire ce qu'il voulait, j'aurai du mal à le contredire, il y aurait bien un moment les mots d'une gamine de dix-sept ans n'auraient plus aucun poids. Pourtant, j'avais l'impression que malgré ma méfiance, il essayait d'avoir une part de ma confiance, et d'une certaine manière ma langue se délayait. Pourtant, les regards étaient toujours là, j'essayais de faire abstraction. En même temps, mes regards noirs avaient pourtant l'air clair pour eux, s'ils continuaient à essayer de faire les oreilles indiscrètes pas du tout discrètes, c'était ma voix sensuelle pas du tout douce, pour leur faire comprendre que ma conversation n'était pas ouverte à tout le monde non plus. Nous avions bien le droit à un minimum de discrétion quand même. A croire que je me mettais le doigt dans l'oeil et jusqu'au coude comme aurait dit l'père Fontaine. Alala, je repoussais ma tresse dans mon dos rapidement tout en continuant à l'écouter. Il avait raison une soeur, une grande soeur avait tout pour nous protéger alors moi. J'avais une grande soeur tutrice légale, donc ma deuxième maman. Forcément, elle avait bien raison, c'était Mathilda elle avait toujours raison d'une certaine manière, comment lui donner tort ? Elle savait pertinemment ce qui était bien ou non pour moi. Ce qui allait m'être bénéfique ou non.

"Je suis bien protégée dirons-nous. Mais je reste une adolescente bornée. Si elle... Elle a quelqu'un mais ce n'était pas forcément une personne avec qui j'ai des affinités. Tant qu'à moi, j'ai quelques amis, mais c'est un peu compliqué au final. Des histoires d'adolescente très peu intéressantes."

Mais nécessaires j'avais envie de dire, d'une certaine manière, j'étais contente de garder des préoccupations d'adolescentes. Ca me disait que mon ancienne vie n'était pas encore disparue, j'avais encore des soucis qui étaient dignes d'une adolescente, même si j'avais l'impression que je devais grandir plus rapidement.

"Je sais pas quelque chose pour m'occuper l'esprit. Je ne suis pas mauvaise élève, je suis débrouillarde, du moment que ce n'est pas des travaux de force, je pense pouvoir aider dans beaucoup de tâches."

Ce n'était putain de pas facile que de faire parler une gosse. Les gamins, j'avais jamais su faire avec. Faut dire, j'en avais pas côtoyé des masses. Ma sœur et mon frère avaient les leurs, mais je ne les avais rencontrés que quelques fois quand je rentrais en permission chez mes parents. Les liens familiaux étaient distendus depuis que j'avais passé les vingt ans, en fait, et il n'y avait plus rien eu par la suite pour vraiment nous rapprocher. Bref, les chiards, j'en avais jamais eu et j'en avais jamais vraiment voulu. Je les détestais pas. Dans l'absolu, j'aurais bien fait pondre quelques moutards mais... J'avais jamais trouvé de femme qui me donne envie de me poser tout comme je n'avais pas une situation qui s'y prêtait. Et je devais bien avouer que je vieillissais lentement mais sûrement sans trop me poser la question d'en avoir pour de bon. Il fallait pour ça que je me pacifie un peu à l'intérieur, ce qui n'avait clairement rien de joué. Dans tous les cas, je savais pas y faire. Et quand je voyais la gosse que j'avais devant moi, ça me donnait pas plus envie. J'aurais jamais la patience de pouvoir les gérer à l'adolescence, j'aurais bien trop tendance à me montrer trop brutal. Peu importait au final. La gamine me dit qu'elle est bien protégée, mais elle semblait avoir plutôt pas mal de recul sur elle même. Comme quoi un gosse c'est pas con. C'est juste chiant et contraignant. Lorsqu'elle me parla de sa sœur, je constatais qu'elle confirmait une info. La grande Fontaine avait une relation, et celle ci plaisait pas trop à sa sœur. Je grommelais quand elle me disait que ses histoires d'adolescente étaient très peu intéressantes.


| C'est toujours ce qu'on pense quand on est ado. Et après on se rend compte que ça devient pire. Profites de ce que tu as pendant que tu l'as. Déjà qu'avant, c'était pas cool de grandir, je pense que tu fais partie des vernis qui vont l'avoir encore plus dur... |


Je ne la cuisinais pas sur sa sœur pour ne pas la voir se fermer comme une huître ; je désirais bien sûr pouvoir poursuivre cette conversation mais pas sans m'aliéner la fille. Je posais mes jalons pour plus tard, parce que je me rendais compte que pour m'en faire une alliée il faudrait du temps. Je devais cultiver ces rapports dans la patience pour qu'ils puissent donner quelque chose... J'hochais la tête à ses paroles suivantes.


| Dans ce cas, vas voir à la Mairie. Tu y trouveras probablement un grand con qui s'appelle Reh, ou une petite mignonne qui se nomme Bandat. Ils te donneront des choses à faire pour te rendre utile. Mais que ça reste un secret entre nous, hein, je tiens pas à ce que ta sœur me retombe dessus à bras raccourcis... On se revoit bientôt, là je dois continuer mon tour de la ville mais n'hésites pas à me prévenir s'il y a un souci à la maison, tu dois penser à toi aussi. |


Je la saluais d'un signe de tête, et je partais. Etait ce la première pierre posée à une implication plus grande dans les affaires de Fontaine?

Le militaire en face de moi me faisait ouvrir les yeux d’une certaine manière. Je ne pouvais pas fermer les yeux éternellement sur la situation. Il fallait finir par se rendre compte que l’on ne pouvait pas finir par vivre au monde des Bisounours. Pourtant je trouvais ça plutôt bien l’idée de me voiler la face et me dire qu’il était temps que je reste vivre à jamais à Louisville sans grandir, sans changer, en revivant éternellement ma terminale, me dire que c’était ça mon avenir. Aujourd’hui, j’avais fait un chemin, enfin un début du chemin que je voulais faire. Essayer de m’occuper, je venais d’obtenir enfin un nom qui me permettrait peut-être à occuper mon temps. Oui parce que relire éternellement le livre d’économie, ce n’était pas la solution, et puis Keynes et ses copains qui m’expliquent par a+b qu’une main invisible domine le marché avant tout… C’est bon j’ai compris la chose, tout comme les classiques, néo-classique et compagnie. Que voulez-vous que ça me fasse. C’était bien cool que l’on m’explique par quarante fois la même analyse, mais ça en devenait lassant à la fin. Je commençais à tourner en rond et à force je n’allais pas devenir chèvre à continuer l’économie, les mathématiques ou encore la philosophie. Kant et ses potes, eux, c’étaient les pires.

Il me donna donc un nom, il en devenait presque sympathique. Reh, ce nom ne m’était pas inconnu. Je l’avais déjà rencontré, au tout début, Alexandre de son prénom si mes souvenirs étaient bons. Et vu mon âge je me doutais bien que je n’étais pas encore totalement sénile. Dieu merci, je n’étais pas encore bonne à jeter. De plus, ses conseils j’avais l’impression qu’il ne les donnait pas à l’enfant qu’il voyait encore en moi, fragile et complètement innocente. J’avais grandi d’un coup depuis ces histoires, et j’avais du aussi penser un peu à moi-même si ma sœur était toujours prioritaire à mes yeux, on vivait l’une pour l’autre au final. Et ce n’était pas plus mal. « Très bien, merci encore pour vos conseils… avisés, et à une prochaine » Je le laissais s’écarter un peu de moi, reprenant mes esprits, jetant un coup d’œil le soleil n’allait pas tarder à tomber, il était temps pour moi de rentrer à la maison encore un peu loin de l’Eglise avant que ma sœur ne s’inquiète pour rien. Je descendais de mon bout de mur où j’étais assise et je repris mon vélo puis je pédalais jusqu’à chez moi à l’extérieur de Louisville nous étions encore bien ensemble et à l’abri.